La Tribu de Sangwa. Prise de Parole
Canadien d’origine burundaise établi à Sudbury, où il enseigne, Melchior Mbonimpa publie ici son cinquième roman, apportant ainsi une contribution majeure à la littérature burundaise, qui en est à ses balbutiements, et une pierre de plus dans le courant de la littérature canadienne qu’on a décrit sous la bannière de littérature migrante.
Le roman suit plusieurs générations d’une famille originaire du Kenya, dont une branche s’est installée au Canada, en Colombie-Britannique. Le roman débute en suivant les aventures de Zamba, qui réussit bientôt à émigrer au Canada, mais en laissant la belle Assia, enceinte, derrière. Quelques années plus tard, Assia meurt et son fils Manéno est élevé par son puissant beau-père, Sangwa, qui donne son nom au titre du roman. Zamba reste seul et s’effondre. Il se laisse aller à la dérive jusqu’à la rencontre de Mireille et sa fille Mélanie. Avec le temps et la venue de son fils Manéno au Canada, une branche canadienne de la « tribu de Sangwa » se forme et tisse des liens avec la partie de la famille restée au Kenya.
Le mérite du livre se situe dans cette volonté de traduire la réalité de la vie des immigrants africains au Canada d’une part et les difficultés de la vie au Kenya, à la fois pour les Kenyans eux-mêmes mais aussi pour les Canadiens qui s’associent à eux pour soulager la misère qu’ils voient et créer des centres communautaires sur place. Tout au long du récit, on voit se tisser des liens d’affection et de parenté de plus en plus étroits entre les deux espaces, jusqu’à créer une appartenance double. On devine l’intention et la sincérité de l’auteur dans ce projet.
Bien que l’écriture du roman soit toujours claire et précise, le style est souvent assez abrupt, surtout dans le traitement de la temporalité. La narration passe vite sur une cascade d’événements puis tend à s’empêtrer et s’enliser dans des dialogues souvent banals. La mort d’Assia, et plus tard celle de Sangwa lui-même, sont annoncées dans une seule ligne, de façon assez déconcertante. Mais une fois habitué à ce rythme, on finit par adhérer au récit.
Il y a aussi la question de la langue. Bien que l’histoire se passe dans deux espaces anglophones, l’auteur évite presqu’entièrement d’en faire état, créant ainsi une curieuse fiction linguistique. Tous les dialogues sont en français, le nom des Canadiens rencontrés par Zamba en Colombie-Britannique sont Mireille, Mélanie et Réal, et le lecteur n’a jamais l’impression que le passage d’une langue à l’autre est un obstacle ou une contrainte nécessaire. Il s’agit peut-être d’un problème proprement canadien qui serait parasite au projet principal du roman, mais le lecteur francophone peut rester insatisfait devant cet escamotage.
Dans l’ensemble, La Tribu de Sangwa est un roman qui se défend, malgré ses faiblesses, et qui mérite d’être diffusé largement au Canada et en Afrique.