Marcher pieds nus sur nos disparitions. Éditions David
Marcher pieds nus sur nos disparitions, troisième recueil de Lyne Richard aux Éditions David, fait partie de ces œuvres qui parviennent à donner une réelle valeur poétique aux images de la disparition. Parcours amoureux et érotique, épopée de l’intime, les corps désirants recueillent l’absence, la solitude et la mort : « la langue attendait / comme si le désir / seul / pouvait nommer les désordres ». À la fois lieu de passage et sépulture, la chair permet d’ouvrir les poèmes à une question plus universelle, qui dépasse l’intimité des sujets : comment ne pas oublier? La richesse des poèmes de Lyne Richard tient à ce qu’elle transcende cette simple interrogation. Elle fait « chante[r] [les] deuils », donne à ce qui disparaît le mérite d’être regardé, et à la disparition une valeur sacrée. Le corps creuset n’accueille plus uniquement l’individu, mais offre aussi l’hospitalité à tous les drames humains : « il faudrait . . . disperser les cendres des guerres / dans le bleu des fleuves / à l’heure où la main / caresse la mort sans méfiance ». Lucide et affirmée, la poésie de Richard donne envie de croire à ce jour où nous serons peut-être « immobiles et nus / à attendre une autre naissance? ».
Entre l’acier et la chair, deuxième livre d’Isabelle Gaudet-Labine, emprunte aussi le thème de la disparition. Entre la dureté du métal et la fragilité du corps qu’annonce le titre, les poèmes se construisent autour d’une déchirure. Comme chez Richard, le corps permet de chercher des « preuves de vie ». L’érotisme et la sexualité sont présentés comme une porte vers « l’apesanteur », où la terreur des « nuits vacantes » pleines d’ombres et de morts n’est plus, et où les corps silencieux deviennent l’unique façon de communiquer. Parallèlement, on repère, on scrute : « un trou / un nid pour cacher des vœux / dans le mur ». Car la question revient : que pouvons-nous, « orphelins // sans paysage / pour nommer le monde ». L’héritage, obsédant, demande à ce qu’on le remette en cause : « peut-[on] encore / trouver quelque chose / dans l’espace qui reste ». Entre le désir de tout effacer et celui de laisser sa trace, les poèmes proposent de se battre contre le vide et le trop plein, pour parvenir à rester « à l’affût du monde ». Mais si le sujet s’empresse de saisir et de questionner le réel, il le fait par bribes : « ne prenons pas de risque / camouflons / encore un peu de vie ». Interrogateurs et elliptiques, d’une parfaite sobriété, les poèmes deviennent de petits espaces de lutte et de survie, des lieux de passage où l’on attend patiemment que la vie se régénère, dans un ultime constat de la fragilité du monde.