Amanita virosa. Éditions du Boréal (purchase at Amazon.ca)
Le champignon qui donne son titre au deuxième roman d’Alexandre Soublière, Amanita Virosa, est une espèce à la fois commune et mortelle : sous ses dehors agréables, voire banals, l’amanite virale est un poison violent. Comme dans une chanson connue de Gainsbourg et comme dans Roméo et Juliette, une référence importante du roman, le poison est ici indissociable d’un amour ensorcelant. Winchester Olivier, narrateur du roman, tombe pour Elsa, « Démone. Sorcière. Succube, » ce qui provoquera la chute de sa société Hyaena. L’entreprise interlope, fondée avec son acolyte Samuel Colt, se spécialise dans l’espionnage intime. Les deux hommes exploitent un voyeurisme ambiant, déjà alimenté par Internet et les réseaux sociaux; ils fournissent à de riches clients les images de leur « proie, » leur procurant ainsi l’illusion d’« être au centre des ébats ».
Le roman de Soublière oppose de manière dichotomique et même caricaturale amour et érotisme, le premier étant synonyme de civilisation, le second l’attribut d’une animalité. L’érotisme y désigne en effet une sexualité étayée sur le mensonge et tient surtout de la possession avilissante et non consentie de l’autre, c’est-à-dire de son intimité via les images dérobées par Hyaena et parfois de sa personne. En revanche, l’amour, « le vrai », est forcément tragique suivant la référence shakespearienne, et il devient révélateur de « vérité » : vérité sur l’innocence d’Elsa, accusée à tort du meurtre de son mari, et dévoilement du vrai visage d’un Winchester Olivier charognard qui fait des proies des autres sa pitance.
Au-delà de ce binarisme, c’est la question des rapports de pouvoir et de la masculinité qui se trouve au cœur d’Amanita Virosa. Un pouvoir viril qui s’exerce aux dépends des personnages féminins et dont sont significatifs les noms de fabricants d’armes portés par les deux principaux protagonistes, les lexiques de la chasse et de la guerre, ainsi que la récurrence de certaines expressions semi-traduites (« ils n’ont jamais fuck », « mère fucker », etc.) présentes dans la bouche des personnages masculins indifféremment de leur appartenance de classe, et qui ont pour effet d’aplanir les différences sociales entre eux. Autrement dit, les hommes sont tous également dominants dans Amanita Virosa et c’est là la tache aveugle du roman qui aurait pu dénoncer le patriarcat et proposer de nouveaux modèles masculins, mais qui n’arrive qu’à reconduire ses formes les plus éculées. La masculinité de Winchester, de Colt et de leurs clients masculins est soit violente et possessive, soit tempérée par l’amour et mise au service de la protection de celle qui était d’abord une proie. Or, que les hommes soient posés en chasseurs ou en défenseurs, les femmes restent vis-à-vis d’eux des victimes, des proies à prendre, de gré et surtout de force, ou des objets à protéger de la voracité des autres prédateurs.
Si, comme l’écrit Isabelle Boisclair dans Mines de rien, « dès qu’on adopte un regard féministe, plus moyen de voir le monde autrement qu’à travers ces lunettes, qui révèlent comme en surimpression la dissymétrie des rapports entre les hommes et les femmes », il suffit d’un coup d’œil minimalement féministe pour constater que la domination masculine imprègne tout le roman et fait achopper la critique, pourtant pertinente, que fait Soublière d’une société artificielle, narcissique et capitaliste.