Les corps extraterrestres. Éditions Druide (purchase at Amazon.ca)
J’ai lu ce livre en moins de vingt-quatre heures. Pas parce qu’il est court, ni parce qu’il est léger de contenu. Je l’ai fait pour lui rendre justice. On a écrit ailleurs que ce deuxième roman de Pierre-Luc Landry transpire la jeunesse, qu’il palpite d’une vie brouillonne et jubilatoire. D’accord, ces impressions s’appliquent sans erreur au livre de Landry. Mais convenons qu’elles ne nous emmènent pas bien loin. En plus d’être un peu condescendantes, elles ne disent pas ce qui le distinguerait de la masse des romans livrés annuellement. Et Les corps extraterrestres mérite tout à fait d’être relevé, souligné, distingué. Le plaisir de sa lecture demande d’être approfondi. C’est un des romans les plus candides, au sens noble du terme, et aussi un des plus vivants qu’il m’a été donné de lire depuis longtemps. Qu’est-ce à dire? Les corps extraterrestres est une œuvre littéraire dépourvue de ce que j’appellerais le démon du second degré. Landry a écrit un beau roman qui sait rire sans gêne, qui sait s’émerveiller sans honte, et qui, surtout, sait penser sans s’empêtrer dans le jeu des métaphores et des déviations précautionneuses. Voilà sans doute pourquoi je l’ai lu si vite : je ne voulais pas laisser s’échapper cette parole capable d’enchanter d’une façon aujourd’hui si rare en littérature. Les corps extraterrestres raconte les trajectoires erratiques de six personnages — Xavier, Hollywood, Saké, Gia, Chokichi, et Antony — dont les vies sont entrecroisées en des nœuds aussi improbables que leurs noms. Deux d’entre eux sont représentants pharmaceutiques alors qu’un autre vend des stupéfiants. L’une, un peu mythomane, se trouve récemment abandonnée par ses parents richissimes. L’autre est une actrice au caractère à la fois histrionique et fataliste (le roman la voit accoucher en pleine rue, rire et pleurer à la fois, puis dire plus tard que c’est la vie). Tout ce beau monde éprouve des difficultés à dormir, mélange sans réelle tristesse alcool et pilules, écoute beaucoup de musique, regarde beaucoup de films et enfin, comme en une contrepartie inconsciente à ces formes d’inertie, finit par voyager énormément. Le roman est structuré autour de Xavier et Hollywood dont les paroles apparaissent en exergue sur des pages où sont exposés le journal du premier et les poèmes du second. De façon plus étrange, ces deux personnages se croisent uniquement dans leurs rêves qui ont autant de consistance que leur vie diurne. Ils sont liés par les jeux de contraires qu’ils incarnent. Xavier a l’impression de rater sa vie; pourtant son cœur s’emballe aux moindres émotions et aux moindres changements climatiques dont le roman est au demeurant rempli. Quant à Hollywood, il n’a plus de cœur. C’est littéral. On le lui a enlevé pour d’obscures raisons médicales. Il n’empêche que sa vie semble pulser davantage que toutes les autres. Le roman est emporté de la sorte dans les parcours parallèles de ces deux hérauts de l’adéquation entre l’expérience de la vie et sa narration littéraire. C’est à ce titre que je parle des corps extraterrestres comme d’un roman qui respecte la métaphore sans céder à son empire ou, si on préfère, d’un roman qui aime la poésie à condition que celle-ci signifie d’abord prendre acte de l’immense travail en quoi consiste la perception du monde. On apprend à la page 223 seulement que les corps extraterrestres du titre ne sont, d’abord, rien d’autre que cela : les étoiles vers lesquelles tous lèvent la tête, ou encore la planète Jupiter qui revient comme une obsession dans le récit à travers un documentaire ou dans les fréquences sonores qu’elle émet. Il en va de même pour les conditions climatiques changeantes dans le roman qui sont des hivers sans fin, des tempêtes ou des hausses de température inquiétantes. Un personnage dit ne pas croire en cet artifice littéraire consistant à refléter la vie intérieure dans le climat. Les corps extraterrestres est donc aussi, sans détour, un roman du réchauffement planétaire. C’est là un autre visage littéral du monde disloqué dans lequel évoluent les personnages de Landry et sur l’horizon duquel un homme capable de vivre sans cœur n’est pas une réalité apte à vraiment bouleverser le cours des choses. Xavier écrit vers la fin de son journal que « le réel fusionne avec la perception qu’il en a. » L’auteur Pierre-Luc Landry a fait ajouter à la fin de son roman une notice où il explique ne pas écrire pour inventer mais pour rendre compte d’une expérience des choses. Avoir peine à contenir les émotions que nous procure l’expérience du monde, cela s’appelle être sensible et lucide. Vouloir faire de la littérature avec cette vérité, cela s’appelle être artiste. Comme les personnages du roman de Pierre-Luc Landry, nous sommes tous appelés, tôt ou tard, à lever les yeux vers le mouvement des corps extraterrestres puis à réaliser que notre vie intérieure est en quelque sorte reliée à leurs dimensions impensables. Chacun de nous fait ce qu’il peut avec cela. Pierre-Luc Landry a choisi très tôt dans sa carrière de faire ce qu’il y a de mieux.