Grandbois me?connu

  • Patrick Moreau
    Alain Grandbois est-il un e?crivain que?be?cois? Quelques re?flexions sur notre litte?rature a? partir des Voyages de Marco Polo. Fides
Reviewed by Michel Biron

Un ami qui s’occupe d’une revue litte?raire que?be?coise se plaignait re?cemment de l’absence totale de re?action suscite?e par un nume?ro de sa revue consacre? a? une litte?rature e?trange?re. Quand il n’est pas question de notre culture, constatait-il avec de?pit, personne ne s’inte?resse a? ce qu’on e?crit. La seule fac?on d’e?chapper a? ce silence, c’est de toujours et encore parler de nous- me?mes, de n’e?voquer le reste du monde qu’en regard de notre culture. Est-ce pour cela que l’e?tonnant ouvrage de Grandbois consacre? aux voyages de Marco Polo n’a jamais vraiment trouve? ses lecteurs? Telle est la the?se de Patrick Moreau, professeur de litte?rature au Colle?ge Ahuntsic, dans un petit ouvrage aux allures d’e?ditorial, intitule? Alain Grandbois est-il un e?crivain que?be?cois? Fac?on habile mais paradoxale de ramener au contexte national une œuvre que?be?coise qui, pour une fois, ne parle pas (explicitement) de nous — de le faire en proclamant haut et fort que nous avons eu tort de ne pas l’inte?grer au corpus national. Fac?on paradoxale, car l’auteur « que?be?cise » une œuvre qui ne demandait pas a? l’e?tre — et se trouve a? confirmer que lui-me?me ne parvient a? nous inte?resser au texte de Grandbois qu’en montrant que le Que?bec ne s’y est pas inte?resse?.

Le ve?ritable objet de cette plaquette n’est toutefois pas Grandbois lui-me?me, mais l’institution litte?raire que?be?coise, a? laquelle s’attaque Patrick Moreau, lui qui s’en e?tait pris il y a quelques anne?es a? l’institution scolaire que?be?coise dans Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’e?cole ignorants? Trois « maux » l’agacent tout particulie?rement : l’e?galitarisme, le pre?sentisme et le populisme. Les manuels ou les anthologies destine?s au colle?gial placent a? peu pre?s sur le me?me plan les classiques et les minores, ils canonisent des textes re?cents et ils e?vitent les œuvres re?pute?es difficiles, car moins accessibles au « grand public » ou a? l’e?le?ve. Une œuvre d’ici ne serait vraiment « que?be?coise », conclut-il, que si elle res- pecte ces trois crite?res. D’ou? l’exclusion de livres comme ceux de Grandbois qui ne re?pondent a? aucun de ces crite?res.

Avec une mode?ration exemplaire — qui contredit en partie le style accrocheur et pamphle?taire du titre — l’auteur n’a aucune peine a? nous convaincre que la litte?rature d’ici obe?it a? des crite?res d’e?valuation qui sont souvent loin d’e?tre litte?raires. Mais le choix du Voyage de Marco Polo (1941) est-il le plus probant a? cet e?gard? On aurait aime? que Patrick Moreau explique l’admi- ration qu’il e?prouve pour ce re?cit curieux (il le qualifie de chef-d’œuvre), e?rudit sans doute, mais pluto?t livresque et de?pourvu de l’intensite? qu’on trouve dans Ne? a? Que?bec (1933) centre? sur la figure de l’explorateur Louis Jolliet. Grandbois lui-me?me avait des re?serves sur son Marco Polo, qu’il jugeait surcharge? d’e?ve?nements. Quant a? savoir si Grandbois est bel et bien un e?crivain que?be?cois, la question est d’autant plus surprenante que l’auteur des Iles de la nuit a e?te? le mode?le par excellence des poe?tes du pays durant les anne?es 1960. La? aussi, on aurait aime? avoir quelques explications additionnelles.



This review “Grandbois me?connu” originally appeared in Contested Migrations. Spec. issue of Canadian Literature 219 (Winter 2013): 180-81.

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