L’aller pour le retour

  • Pierre-Louis Gagnon
    Le rendez-vous de Damas. Lévesque éditeur (purchase at Amazon.ca)

Se présentant comme un roman d’aventure ou un roman historique, Le rendez-vous de Damas a peut-être aussi, et même davantage, valeur de roman d’émancipation. Certes, la plongée au cœur du Montréal de la fin des années 1930, l’évocation de la visite de George VI et de la reine Elizabeth, des nazis canadiens, du banditisme montréalais, tout autant que les épisodes ou les personnages marquants de l’époque de la Seconde Guerre mondiale qui servent de cadre à l’histoire, sont d’un intérêt certain. Il semble toutefois que le propos principal du livre se trouve au-delà des aventures avortées auxquelles prend part le personnage principal, Serge Régnier.

Après avoir fui deux ans auparavant l’atmosphère cléricale de la ville de Québec, lieu où habitent un père avec qui les relations sont tendues et une mère internée en institut psychiatrique, Serge est maintenant journaliste au quotidien Le Canada à Montréal. Le roman s’ouvre sur le retour momentané de Serge à Québec, à l’occasion des funérailles de sa mère, et révèle la culpabilité du héros de ne pas s’être assez occupé de celle-ci, hospitalisée à l’initiative de son père. Le schéma est classique, la cassure évidente, et les aventures de Serge le ramèneront inexorablement chez lui, au terme de ses expériences à Montréal et à l’étranger.

Trentenaire homosexuel, Serge ne trouve pas plus qu’à Québec le lieu d’un réel épanouissement dans la métropole. Rongé par une mélancolie née de l’isolement et de la marginalité auxquels le confinent ses préférences sexuelles, il aspire à un bonheur conjugal illusoire pour l’époque. La première partie du roman traite en parallèle l’activité journalistique de Serge, entre couverture de l’actualité internationale et l’important mandat de débusquer les secrets du monde interlope de Montréal, et sa vie sentimentale. L’arrivée de Richard Mailloux, un Témiscouatain venu en ville pour trouver du travail, marquera un tournant positif pour Serge, jusqu’alors plutôt malheureux en amour. L’intrigue policière autour de la mafia new-yorkaise sera sèchement abandonnée, cédant toute la place au conflit mondial naissant et aux amours du héros, qui s’engage dans l’armée comme artilleur pour suivre son amant.

Postés en Angleterre, Serge et Richard vivent ce qui s’approche d’une vraie vie de couple. Ils partagent la même chambre, sortent dans les bars ; leur situation, connue de leur régiment, est tolérée. Les deux amants côtoieront même la débauche londonienne pour un soir. Tout semble ensuite devoir évoluer radicalement. Devenu employé des services secrets britanniques, Serge est envoyé en Syrie pour la mission « Le rendez-vous de Damas », dont il est finalement évincé et qui ne lui permet d’accomplir aucun geste héroïque. Au lendemain de cet épisode, sur les plans professionnel, sentimental et familial, des changements importants s’opèrent et dirigent le protagoniste vers ce qui pourrait bien être son véritable « rendez-vous », une voie à réparer, hypothétiquement une sorte de chemin de Damas à trouver. Pourra-t-il, héros plus émancipé, fort de ses aventures, racheter ses manques envers sa mère, renouer avec sa ville natale et régler ses comptes avec son père?



This review “L’aller pour le retour” originally appeared in House, Home, Hospitality Spec. issue of Canadian Literature 237 (2019): 142-143.

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