Traces de vies

Reviewed by Chiara Falangola

Bleu Bison est le premier roman de Patricia Godbout, traductrice et professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke. Un début littéraire touchant et attachant qui s’inscrit dans le deuil familial et le devoir de mémoire. La mort des proches et, en particulier, les suites de ces pertes scandent les différents moments du récit, dont le fil rouge se tisse justement dans cette coexistence de la vie et de la mort. Du décès du père à celui de la mère, en passant par le suicide tragique du frère cadet Louis, la narration à la première personne nous amène par bribes dans les entrailles de la vie des disparus et des survivants. Ce récit fragmentaire de la mémoire familiale — qui suit le chemin des souvenirs, des lettres, des tableaux, des carnets personnels, des objets variés contenant les traces des vies individuelles pas complètement ouvertes au déchiffrement — décrit le parcours du deuil de la narratrice et de ses proches en tant que « non-témoins et réceptacles de récits troués ». Le temps de la narration, coïncidant avec celui du deuil, se déplie en tant que « temps de transition avant que ne s’écrive la suite ». Ainsi, le temps s’arrête dans la quête errante de la voix narrative à travers la description et la réflexion sur les différentes reliques qui se posent en tant que différentes étapes de la pérégrination du récit. Le style dépouillé ne dédaigne ni la parataxe ni un lyrisme simple qui semblent naturellement accompagner le ton élégiaque de ce court roman. Un seul désir reste inassouvi : le lecteur reste sur sa faim quand arrive l’épilogue qui semble clore le récit de manière trop hâtive.

            Un homme discret, avant-dernier roman du romancier, nouvelliste et poète québécois Louis-Philippe Hébert raconte l’histoire de l’investigateur privé Julien Loiselle qui, à la suite d’une attaque terroriste, en profite pour matérialiser le changement d’identité en Octave Damphousse, changement planifié et convoité depuis longtemps. À la surprise du lecteur, cette nouvelle identité n’implique pas de métamorphose, ni d’évènement particulier, mais semble plutôt exaspérer et mener à leurs extrêmes conséquences des tendances qui étaient déjà présentes chez Loiselle. Damphousse s’installe à Montréal et commence une drôle de filature du quartier du Mile End pour devenir, à son tour, l’objet de la filature de ce qu’on découvre être le narrateur plus tard dans le texte. Le « discret » du titre est à interpréter non seulement dans son sens courant de réservé, mais aussi selon son acception étymologique de séparé, divisé, discontinu — et, pour rester fidèle à la trame des explosions dans le roman — éclaté. Loiselle-Damphousse est un homme-ombre, dissocié de la réalité comme de soi-même. L’idée d’un Feu Mathias Pascal contemporain dont le récit se construit a posteriori, à la troisième personne, en partant par les carnets du protagoniste, est intéressante, mais la succession narrative en soi et la quête identitaire négative semblent manquer de justification, peut-être, aussi, à cause des divers éléments disséminés dans les premiers chapitres du roman qui restent sans suite.

Somme toute, un livre sur la solitude et la hantise du vide contemporain à lire.



This review “Traces de vies” originally appeared in 60th Anniversary Spec. issue of Canadian Literature 239 (2019): 156-157.

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