Les Balles du passé

  • Marie Hélène Poitras
    Griffintown. Alto
  • Martine Delvaux
    Les Cascadeurs de l’amour n’ont pas droit au doublage. Éditions Héliotrope
Reviewed by Marion Kühn

Le deuxie?me roman de Marie He?le?ne Poitras, Griffintown, offre un voyage dans le monde aussi me?connu que menace? des cochers de Montre?al. Son « Western spaghetti sauce urbaine » oppose le clan de « Ceux de la ville », partis a? la « conque?te du Far-Ouest » pour y construire un « Griffintown 2.0 », a? la faune bigarre?e du Horse Palace dont la survie est se?rieusement mise en question depuis la mort violente du proprie?taire de l’e?curie.

Me?me si l’enque?te he?sitante du palefrenier sur la mort de son supe?rieur finit par se transformer en vendetta personnelle de la me?re du de?funt — une sorte de Ma Dalton tirant plus vite que son ombre — le meurtre n’occupe que l’arrie?re-plan de l’intrigue qui raconte « la dernie?re saison de cale?che ». C’est une coche?re novice, Marie, que le lecteur accompagne lors de sa de?couverte des codes de l’univers de?labre? et dur des cochers, une poigne?e de marginaux e?choue?s dans un « cabaret de la dernie?re chance ». De multiples insertions e?toffent le re?cit re?ve?lant les le?gendes et les blessures du passe? qui hantent « cette civilisation coche?re » et font de Griffintown un « champ mine? de souvenirs ». Livrant des portraits tanto?t tragiques, tanto?t crus, voire grotesques, dans une posture narrative aussi de?taille?e que de?tache?e, l’auteure e?claire tous les coins sombres en tenant les re?nes un petit peu trop serre?es dans son bel hommage aux cow-boys urbains de Montre?al.

Si l’e?criture sert a? e?riger un monument a? la culture coche?re montre?alaise dans Griffintown, elle rele?ve d’un besoin existentiel dans Les Cascadeurs de l’amour n’ont pas droit au doublage, le troisie?me roman de Martine Delvaux. Le monde de la narratrice a bascule? quand ce qu’elle croyait e?tre l’amour de sa vie s’est transforme? en cauchemar e?touffant. Fuyant le lieu de l’e?chec, Montre?al, c’est a? Rome, qu’elle essaie de tourner la page dans une longue lettre destine?e a? « [c]et homme que je venais de quitter parce que c’e?tait c?a ou lui abandonner ma vie ». En e?crivant, elle « met . . . en pie?ces [s]on image » a? lui, de?gage les couches de son propre aveuglement et analyse le me?pris grossier de cet immigrant tche?que envers son pays d’accueil. L’inte?re?t du roman re?side toutefois moins dans la repre?sentation d’une communication interculturelle e?choue?e, le ve?ritable combat auquel se livre la narratrice e?tant celui contre « la dictature du de?sir » qu’elle de?cortique en puisant dans l’imaginaire de la guerre. Ainsi, elle de?gage la dynamique destructrice de sa relation avec celui auquel elle finit par reprocher de vivre dans une « pie?ce noire, isole?e, a? laquelle je n’avais pas acce?s ». Les multiples re?fe?rences aux grands classiques litte?raires ne servent pas seulement a? souligner l’universalite? de cet amour-passion, mais permettent souvent un regard distancie? a? la narratrice-auteure qui conc?oit son livre comme sa dernie?re balle. Non pas pour attaquer son ennemi, mais comme dernier recours contre la folie de l’amour dont ce roman est un te?moignage intense.



This review “Les Balles du passé” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 151-52.

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