Les rives du chaos

  • Claudine Potvin
    Le sexe de Fidel. Lévesque éditeur (purchase at Amazon.ca)

Louise et Marc partent à Cuba en 1967 pour se frotter aux rêves et aux désillusions d’un pays en pleine ébullition, tels les idéaux qu’ils portent. Alors que Marc s’intéresse surtout à la politique et à la dimension intellectuelle de l’endroit, dont il se nourrit, c’est une faim différente qui tenaille Louise, une irrépressible envie de faire corps avec l’île, corolaire d’un vide intérieur à combler. C’est ainsi que nous serons entraînés par la narratrice dans le tourbillon des sensations tantôt fugaces tantôt pérennes qui moduleront sa vie.

L’incursion au cœur de l’île de Cuba des années 1960 s’étoffe de nombreuses références historiques et littéraires qui ponctuent l’expérience et les réflexions de Louise. À travers le récit de ses émois et de ses tergiversations, elle évoque le charisme de Castro, la puissance de son verbe, son pouvoir d’attraction, en même temps qu’elle formule des réflexions sur la situation sociopolitique et l’intransigeance révolutionnaire. Aux considérations sur la réalité cubaine s’enchevêtrent également des aspirations québécoises auxquelles Louise n’est pas étrangère : la volonté d’affirmation nationale de la Révolution tranquille, la redéfinition d’une province qui s’essaie, tout comme Cuba, à sa nouveauté.

Au fil des jours, l’adolescence du personnage central se prolonge, goûte Cuba, s’en laisse imprégner, est infidèle. Le couple que Louise forme avec Marc se désunit pendant que Louise, elle, s’unit au vent, au sable, à Pablo, surtout, dans une passion empreinte de poésie qui les consumera par-delà l’absence et le temps. Louise raconte, quarante ans plus tard, Cuba et ses paradoxes, la décrivant comme le pays « de l’exubérance et de l’excès », à l’image de son histoire d’amour avec Pablo.

En traversant la mer, Louise traversera aussi la mère : la mère qu’elle n’est pas devenue pour son fils, la mère qu’elle voulait devenir (et qu’elle deviendra) pour une fille, la mère alcoolique qui est la sienne, la mère adoptive qu’elle trouve sur l’île. Elle éprouvera que les distances géographiques ne séparent qu’artificiellement le passé du présent et ne pallient que temporairement ou superficiellement les vides, le présent se superposant au passé sans jamais l’occulter. Le retour aux sources du souvenir montre les couches successives de traces indélébiles laissées sur le cœur du personnage principal.

L’écriture sensuelle de Claudine Potvin donne une dimension singulière à son univers romanesque. Elle rend audible la frénésie d’un moment, palpable la texture d’un souvenir, tangible le relief d’un désir ; elle matérialise l’effervescence d’un lieu, la brûlure d’un regret, la fraîcheur de la pluie. De la même façon, elle peint la frénésie de la succession des pensées diffuses dans l’esprit de son personnage par l’accumulation de fragments de pensées, de sentiments, de jouissances. La voix de Louise est aussi plurielle, la narration à la troisième personne alternant avec les relations épistolaires et la narration à la deuxième personne pour s’adresser à un proche. L’impression de désordre qui se dégage d’une telle structure peut être déroutante, cependant la forme du récit est en adéquation avec le chaos affectif sur les rives duquel la narratrice se tient en permanence.



This review “Les rives du chaos” originally appeared in Rescaling CanLit: Global Readings Spec. issue of Canadian Literature 238 (2019): 159-160.

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