Dans la nuit du poe?me


En 1965, dans un texte intitule?, Quelque chose de simple, Jacques Brault se demandait : « Qu’est-ce que la poe?sie? » Il re?pondait : « Je ne sais plus, j’ai cru savoir ». Il tenta, dans trois courtes pages, de mettre le doigt sur cette re?alite? quasi indicible qu’on nomme poe?sie, pour finalement conclure qu’il est plus facile d’e?prouver son absence que de la de?finir.

On ne pourrait donc connai?tre la poe?sie que d’une fac?on indirecte, gra?ce aux conse?quences de?le?te?res que son absence engendre en nos vies. Qui n’est pas inte?resse? par l’existence de la poe?sie ne pourrait donc point e?prouver ni sa pre?sence ni son effet parce qu’il lui manque l’expe?rience de ce vide au fond duquel se cache le de?sespoir, mais e?galement cet autre visage du myste?re qu’on appelle poe?sie.

Quelques anne?es plus tard, en 1972, l’auteur, en relisant son texte, a senti le besoin de parler de l’e?criture pour mieux situer son propos. Il parle de la poe?sie, du sentiment poe?tique que nous pouvons e?prouver par et dans l’e?criture et conclut que, ge?ne?ralement, malgre? les nombreuses « pages griffonne?es, rature?es, barbouille?es », la poe?sie n’est pas au rendez-vous, l’e?motion n’habite pas les mots, le miracle d’une parole juste et efficace ne se produit pas. Difficile constat qui ne peut que stimuler la recherche d’une de?finition du poe?me qui, selon l’opinion courante, est le lieu privile?gie? permettant a? la poe?sie de se re?ve?ler autant a? l’e?crivain qu’au lecteur.

Ce raccordement de la poe?sie a? l’e?criture ouvre la voie a? une autre interrogation : qu’est-ce qu’un poe?me? Dans la nuit du poe?me tente de re?pondre a? cette question. Peut-on cerner ve?ritablement ce qu’est un poe?me re?ussi, en qui et par qui la poe?sie se manifeste a? la conscience pre?te a? l’accueillir? Car il faut e?tablir une nette distinction entre un texte fide?le aux lois ou aux normes de la versification, lesquelles ne sont pas, surtout en notre e?poque de modernite?, fixes, a? supposer me?me qu’il en reste, et un texte dans lequel la poe?sie se manifeste avec e?vidence. Dans ce court essai, l’auteur convoque les principaux te?moins susceptibles de lui permettre d’e?clairer sa question et d’e?tablir des parame?tres a? l’inte?rieur desquels il semblerait que le langage doive se situer pour avoir un minimum de chance de rendre la parole a? elle-me?me et, par cela, la poe?sie au texte.

L’enque?te, mene?e par Brault, le conduit du Moyen-A?ge aux temps dits modernes et lui permet de constater que « la langue versifie?e n’est pas la poe?sie », d’une part, et que, d’autre part, l’usage versifie? de la langue n’est pas le seul qui puisse pre?tendre a? la poe?sie.

Pour tenter de jeter un peu de lumie?re sur cette nuit, Baudelaire, Mallarme?, Vale?ry, Ponge, Michaud, Aragon, Paz, Blanchot et Collot sont interroge?s. Ce qui permet a? l’auteur de constater qu’aucun de ces praticiens n’a re?ussi a? vraiment re?soudre la question du poe?me comme lieu de la poe?sie. Il y a le poe?me comme lieu d’exploration du langage, le poe?me comme architectures sonores susceptibles de permettre a? ceux qui les visitent d’e?tre e?blouis par l’audace des lignes et l’ampleur des espaces de?gage?s, mais trop souvent incapable d’engendrer ce quelque chose sans lequel tout l’e?difice semble vide et peu propice au recueillement. C’est que le poe?me, aussi bien en prose qu’en vers (les deux sont examine?s dans ce court essai), ne contient pas, dans sa structure me?me, ce qui aurait pour effet de le rendre parlant dans la langue des Dieux. Certes il faut jouer de la langue et du langage, casser la fausse cadence pour permettre la naissance du rythme, cet e?le?ment que tous reconnaissent comme e?tant ne?cessaire a? l’e?closion de la parole, mais dont personne n’est vraiment capable de pre?ciser la recette d’application.

L’ensemble de cet essai e?crit dans une langue elle-me?me remplie de silence et de sous-entendus, convoque celui qui accepte de le lire a? un voyage a? travers les mots, l’histoire et l’expression qui tente de trouver son rythme de naissance et son lieu d’exploration.



This review “Dans la nuit du poe?me” originally appeared in Gendering the Archive. Spec. issue of Canadian Literature 217 (Summer 2013): 133-34.

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