De la maïeutique des idées

Fernand Dorais était professeur, animateur social et homme de religion; sa prose essayistique franche, résolument « cognitive », pour reprendre la typologie de l’essai proposée par Robert Vigneault, reflète chacune des dimensions de l’intellectuel complexe qu’il était. Bien que né au Québec, celui qui a enseigné plus de vingt ans à l’Université Laurentienne a fait du Nouvel-Ontario et de l’émergence d’une affirmation identitaire franco-ontarienne le foyer de sa réflexion sur la culture et la littérature.

Il faut ici entendre « foyer » au double sens de lieu, de domicile, et de point focal de la pensée. C’est du moins ce à quoi nous invite la division de ce recueil des essais de l’auteur, en posant comme « Pré-scriptum » et « Post-scriptum » les premier et dernier tome du volume, dans lesquels se trouvent les essais précédant et suivant la venue de Dorais en Ontario. Conformément à la logique de cette dénomination faite sur le mode d’un avant et d’un après de l’écriture, le cœur du projet essayistique de Dorais se trouverait dans les écrits sur le devenir ontologique et identitaire du fait francophone en Ontario, que renferment les tomes II et III. L’ouvrage comporte quatre tomes au total.

Cet avant de l’écriture, le pré-scriptum, décline différentes réflexions sur la Nouvelle Critique française et sur l’épistémologie de la recherche en littérature. Entre l’essai érudit « La lecture gréco-romaine des textes », prolégomènes à un ouvrage plus élaboré sur la lecture des textes, et celui intitulé « D’un discours de la méthode possible en recherches littéraires » se définit la posture de chercheur de Dorais, qui, tout en reconnaissant l’apport des sciences du langage dans l’appréhension des textes, n’a jamais cessé de faire valoir l’importance de la subjectivité humaine dans les études littéraires. « Mais qui a tué André ? » inaugure le deuxième tome du volume et donne l’exacte mesure de la finesse avec laquelle l’essayiste analyse la situation franco-ontarienne, tout autant que les dangers de l’acculturation et d’un bilinguisme soustractif. La référence à la figure d’André Paiement, autour de qui se sont cristallisées bon nombre d’initiatives de CANO, rappelle le rôle d’animateur culturel qu’a joué Fernand Dorais pour la jeunesse franco-ontarienne, rôle qui structure l’ensemble des essais de cette partie. Dans le troisième tome, qui forme un tout assez homogène, à la façon d’un roman dont « chaque chapitre [est] un essai qui tente de cerner [l’] expérience [de Dorais] dans la francophonie canadienne », se dessine la vision de la littérature du professeur en milieu minoritaire francophone et de l’homme en situation, au sens très sartrien de l’expérience décrite, qu’est Dorais. Enfin, les essais du quatrième tome, proches de l’étude critique de l’œuvre de Thérèse Tardif et de la réponse que lui a adressée Marie de Villers, seraient de façon cryptée une grille de lecture anticipant l’œuvre de création en cours d’écriture de Dorais lui-même.

Heureuse façon de conclure ce premier volet d’un projet bipartite, appelé à être complété par un second volume réunissant les œuvres de création de Fernand Dorais. Pour l’heure, les trente essais ici réunis et commentés par Gaston Tremblay permettent de passer en revue les jalons du parcours de Fernand Dorais et de mettre en lumière une conception de la culture et de la littérature sans doute datée, mais néanmoins fondamentale dans la constitution de l’identité franco-ontarienne.