Printemps spécial.(purchase at Amazon.ca)
Si le printemps étudiant de 2012 a suscité moult tumultes dans les rues et les esprits du Québec, ses effets se sont aussi fait sentir dans le monde éditorial. Suite à la défaite électorale des libéraux en septembre, les rayons des librairies prennent toutes les teintes de rouge : pourpre des réflexions d’intellectuels engagés, vermillon des fictions en textes et en images. Les douze nouvelles de Printemps spécial, si elles appartiennent de facto à la seconde catégorie, empruntent à la première un certain recul vis-à-vis de leur sujet.
Cette mise à distance — évidemment variable d’un écrivain à l’autre — est lisible dans les oppositions qui sous-tendent presque toutes les nouvelles. Spatiale chez Nicolas Chalifour, qui ouvre le recueil, l’opposition devient temporelle dès l’appel semi-ironique « À la casserole! » de Catherine Mavrikakis, avant de prendre, sous la plume de Martine Delvaux, les traits d’une dialectique entre l’individu et la multitude. « Tu écris comme tu marches dans la ville », affirme Delvaux, anticipant du même coup les dichotomies urbaines — Montréal-Paris, Montréal-New York, Montréal-Berlin — déclinées par André Marois, Gail Scott, Patrick Lessard et Michèle Lesbre. Le tiers des textes témoigne en effet des événements de l’extérieur : accrochés aux délires médiatiques ou aux nouvelles de leurs amis Facebook, leurs auteurs portent un regard tour à tour indigné, enthousiaste ou terrifié sur une métropole à la fois proche et lointaine.
Car le reste du Québec, il faut le dire, n’apparaît qu’en vague filigrane du collectif. La grève, la manifestation, la revendication sociale sont des signes proprement montréalais et curieusement féminins. Si la « jeune fille » fait une entrée anonyme et un peu fantastique, chez Chalifour, elle gagne une présence corporelle « lumineuse » chez Gabriel Anctil avant de se multiplier dans le kaléidoscope des désirs parisiens et indécis de Lessard. Grégory Lemay pour sa part la promeut effigie et fantasme : c’est une « déesse de la révolution » bardée de studs et de barbells — et, somme toute, aussi risible que problématique.
Ces représentations stéréotypées appellent une satire que la bouffonnerie bienvenue de Simon Paquet insuffle au recueil. Riant de tout et surtout de lui-même, « L’inactiviste » dévoile presque par inadvertance le ridicule — ou la violence — de certains comportements, d’une manière qui rappelle l’ironie de la narratrice de Mavrikakis à l’égard de sa protagoniste, prof à l’UQAM. Autre facette de l’expérience enseignante, « L’atelier rouge » de Carole David mêle des trames individuelles et historiques pour tisser, en amont et en aval, une mémoire de la grève.
Il sera encore question de tissage et de nœuds dans l’avant-dernier texte, « La corde ». En guise de conclusion dystopique ou de rêverie cathartique, Olga Duhamel-Noyer imagine l’envers pervers des manifs gorgées d’espoir précédemment décrites. En marge de l’une d’elle et sans raison apparente, la « déesse de la révolution » se mue en femme soumise aux pulsions de ravisseurs masculins. Allégorie du sexisme présent dans les réseaux militants? Réflexion sur le confort de l’ordre établi? Dérangeante et opaque, la nouvelle ouvre les significations de tout le recueil en invitant le lecteur « carré rouge » à le relire d’un œil plus critique.