De l’impuissance à l’autonomie : Évolution culturelle et enjeux identitaires des minorités canadiennes-françaises. Editions Prise de parole (purchase at Amazon.ca)
La contre-culture au Québec. Presses de l'Université de Montréal (purchase at Amazon.ca) and
Un demi-siècle s’est écoulé depuis l’avènement de bon nombre des manifestations contre-culturelles québécoises qui constituent l’abondante matière première de La contre-culture au Québec sous la direction de Karim Larose et Frédéric Rondeau. Ce collectif, qui se présente comme un ouvrage de référence, se donne notamment pour objectif de renouveler la réflexion en croisant des analyses ayant porté sur divers objets artistiques et culturels (musique, arts visuels, théâtre, cinéma, poésie, bande dessinée, etc.).
Bien que la variante québécoise du mouvement contre-culturel ait été bien loin d’être homogène, elle se caractérise par un refus de la société technocratique et, plus généralement, du « système », sorte d’entité polymorphe contre laquelle viendront se dresser une multiciplicité de formes artistiques et culturelles innovantes et diversement militantes. Si, dans la contre-culture québécoise, il y a un art qui sert de modèle en quelque sorte à tous les autres — comme ce fut le cas des arts visuels à la Renaissance —, on pourrait dire que ce serait la musique. Les chapitres qui y sont consacrés dans l’ouvrage sont particulièrement bien documentés et empreints d’une sorte d’élan à l’image de l’effervescence des milieux dépeints. Bien sûr, il fallait également rendre compte de la « grande récupération » à laquelle ce mouvement n’a pas manqué de donner lieu, mais l’accent a été mis, fort justement, sur la richesse des modes d’expression et de contestation qui viennent bousculer bien des codes dans le Québec de la fin des années 1960. Dans plusieurs textes, on met en relief l’outil de création par excellence que fut l’improvisation, qu’on a vu fleurir notamment au théâtre sous la forme de créations collectives remettant en cause le rôle de l’auteur et du metteur en scène.
Dans son étude de l’œuvre de la poète Josée Yvon, Valérie Mailhot retient l’idée de « dislocation révolutionnaire » des corps, mots qu’elle emprunte à un vers de cette auteure qui décrit l’activité d’une danseuse à l’hôtel Tropicana. Disloquer, rappelle Mailhot, veut dire « détourner, défaire, démonter un dispositif qui tient le sujet captif ». Ce terme s’appliquerait, selon moi, encore plus largement à une bonne partie de l’activité contre-culturelle au Québec qui s’est déployée grosso modo jusqu’en 1975, d’autant plus qu’à l’idée de déboîtement est associée ici celle de révolution. Sans oublier que ce dernier mot veut aussi dire « forme de ce qui est enroulé sur soi-même ». Car la contre-culture a aussi été porteuse d’une « révolution de l’intérieur » et de formes altérées de conscience qui n’ont pas toujours fait bon ménage avec les contestations réelles du pouvoir marchand et les rêves de vie communautaire.
La notion de dislocation est également évoquée par Laurent Poliquin dans De l’impuissance à l’autonomie : évolution culturelle et enjeux identitaires des minorités canadiennes-françaises. Il est question ici de la « dislocation du Canada français » que d’aucuns ont associée à l’avènement de la Révolution tranquille au Québec. L’auteur en cherche les traces en amont en analysant maints discours journalistiques et écrits pour la jeunesse de la première moitié du 20e siècle, afin de mettre en évidence la transformation idéologique et identitaire d’un peuple. Délaissant graduellement une appartenance à la nation canadienne-française qui subit les assauts de plusieurs décisions étatiques hostiles, chaque communauté francophone (en Ontario, au Manitoba, etc.) serait passée à un stade d’« autonomie », c’est-à-dire à un niveau de conscience disloqué mais plus net de soi et de sa réalité propre. L’auteur passe une grande quantité de documents au crible de la méthode d’analyse du discours proposée par Marc Angenot. Le lecteur prend conscience de la vitalité et de la diversité de ces prises de parole, que ce soit dans les périodiques ou les livres de contes pour enfants. Le titre de l’ouvrage (avec cette idée de passage de l’impuissance à l’autonomie) imprime un mouvement généralement positif à ce qui s’apparente aussi à un effritement et à la fin d’un rêve pour la francophonie canadienne.