Archéologie des lettres québécoises

  • Bernard J. Andrès
    Histoires littéraires des Canadiens au XVIIIe siècle. Presses de l'Université Laval

Fruit de près de vingt années de recherches consacrées au corpus souvent mal connu du dix-huitième siècle canadien, cet ouvrage lauréat du Prix Gabrielle-Roy 2013 de l’ALCQ/ACQL se présente comme une synthèse et un aboutissement des travaux antérieurs réalisés par Bernard Andrès dans le cadre de son projet « Archéologie du littéraire au Québec » (ALAQ). Il propose une relecture d’un ensemble de textes que la critique et les historiens ont longtemps considérés avec la condescendance embarrassée réservée aux curiosités et aux objets mineurs, et s’attache au contraire à en montrer le rôle fondateur dans la genèse des lettres québécoises. S’intéressant à la fois aux premières représentations du Canadien diffusées dans la littérature européenne des Lumières et aux différentes sources manuscrites et imprimées témoignant de l’existence d’une culture lettrée dans la colonie, Bernard Andrès a réuni un corpus dont la diversité est d’emblée signalée par le pluriel du titre. Correspondances privées et publiques, chroniques, mémoires, poèmes de circonstance, récits, chansons et articles de journal forment la matière de ces « histoires littéraires », où le mot « littéraires » doit évidemment s’entendre selon l’accep- tion élargie qu’il convient de donner à des écrits produits dans un espace qui ne s’était pas encore constitué en champ autonome, et à l’intérieur duquel les concepts d’œuvre et d’auteur ne jouissaient pas encore des définitions franches qu’allait leur donner l’institution au dix-neuvième siècle. Bien conscient de cette difficulté, Bernard Andrès choisit de désigner par le terme de « protoscripteurs » ces écrivains d’avant la lettre qui ne pouvaient prévoir que le recours à la plume, même à des fins privées, allait leur valoir, trois siècles plus tard, le rôle de défricheurs du champ littéraire québécois. S’il reconnaît le caractère problématique du statut « littéraire » donné aux documents ici rassemblés, Andrès invite à voir au-delà de l’événement ou de l’anecdote auxquels l’historien pressé pourrait être tenté de réduire ces archives, et propose au contraire de prêter l’oreille à leur dimension polémique, argumentative, philosophique ou esthétique. Reprenant une distinction avancée naguère par Michel Foucault, il plaide pour une démarche archéologique consistant à aborder ces documents comme autant de monuments susceptibles d’éclairer les conditions d’énonciation propres aux discours produits au sein de cette culture lettrée en formation.

La structure chronologique adoptée par l’ouvrage est relativement souple et le parcours proposé est loin d’être toujours linéaire. À la suite d’une première partie méthodologique portant sur la place et la valeur de l’archive en histoire littéraire, et proposant quelques pistes pour tenter de résoudre l’éternel débat entourant la datation de l’an zéro de la littérature québécoise, diverses études de cas sont regroupées en deux périodes reprenant la coupure convenue de l’avant et de l’après-Conquête anglaise. Un manque de cohésion se fait parfois sentir entre les analyses singulières qui se succèdent sans toujours parvenir à éviter les transitions abruptes. De même, on aimerait comprendre les raisons qui poussent tantôt l’auteur à s’arrêter longuement sur tel morceau obscur alors que l’analyse de textes plus substantiels et mieux connus est ailleurs expédiée en quelques paragraphes. L’impression qui se dégage de l’ensemble est celle d’une « monumentalisation » pas toujours pleinement réalisée de documents qui ne parviennent pas tous à échapper à l’écueil de la lecture anecdotique et factuelle. On aimerait parfois mieux saisir la fonction illustrative de certains épisodes rapportés et la place que ceux-ci occupent dans cette histoire des mentalités à laquelle Bernard Andrès entend contribuer avec cet ouvrage.

La richesse et l’intérêt scientifique des archives manuscrites et imprimées du dix-huitième siècle canadien ne sont plus à démontrer. On ne peut que saluer la publication de travaux qui, comme celui-ci, contribuent à les faire mieux connaître et inspireront peut-être d’autres chercheurs à continuer l’exploration d’un corpus qui, de fait, offre un accès privilégié à un imagi- naire, un art de dire et une réalité sociale à propos desquels il reste encore beaucoup à decouvrire.



This review “Archéologie des lettres québécoises” originally appeared in Contested Migrations. Spec. issue of Canadian Literature 219 (Winter 2013): 132-33.

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