Ce monstre, Ducharme

  • Marie-Hélène Larochelle
    L’abécédaire des monstres : Fragments de Réjean Ducharme. Presses de l'Université Laval

Lire Ducharme, c’est découvrir des monstres et entrer de plain-pied dans des univers monstrueux, loufoques et peu conventionnels, résultats de la créativité extravagante que l’on y retrouve. Dans L’abécédaire des monstres : Fragments de Réjean Ducharme, Marie-Hélène Larochelle offre vingt-six antisèches érudites qui nous permettent de prendre connaissance des aspects monstrueux essentiels de ses neuf romans publiés entre 1966 et 1999 : le questionnement systématique de toute norme; le refus de la conformité, des codes et des attentes de toute collectivité sociale. Aussi l’auteure jette-t-elle une lumière nouvelle sur cette œuvre insolite afin de la relire à la façon d’un négatif d’une photographie que l’on scrute pour en tirer une image singulière, composée de contrastes renversés qui révèlent des éléments insoupçonnés.

Ducharme, lui-même monstre — dramaturge, scénariste, parolier et artiste plasticien —, est perçu comme une énigme, refusant de se manifester en public ou auprès de ses éditeurs montréalais et parisiens. Il refuse donc de participer à la hiérarchisation de l’intime et du littéraire, refus qui se transcrit sous de multiples formes et de multiples façons dans son œuvre.

Cette œuvre, qui occupe une place monumentale dans la littérature canadienne d’expression française et dans celle de la francophonie, s’inscrit magistralement sous le signe de la langue monstrueuse, de l’innovation langagière, de la néologie et de la richesse de chacune des vingt-six lettres. Ainsi, Larochelle présente ce point d’accès inexploré que peut constituer l’abécédaire comme un moyen de nous faire entrer dans ses univers romanesques au sein desquels se débattent leurs personnages. Ceux-ci sont dotés d’un lexique et de connaissances encyclopédiques pour sauvegarder leur monstruosité, cet acharnement à rester autonomes dans leurs subversions, à faire l’éloge de l’unicité identitaire et à troubler les sensibilités dites normales. Ainsi, on lit les entrées « Adulte », « Bérénice », « Colombe Colomb », « Père », « Questa » et « Walter », entre autres, car elles renvoient toutes à des êtres qui peuplent les mondes étonnants que crée Ducharme. Mais l’individu, qui se trouve au centre de cette créativité dialogique à plusieurs degrés et qui la déchiffre tant bien que mal, est double : son lecteur et son personnage qui lit. C’est donc avec un plaisir d’autant plus grand qu’on découvre l’entrée « Lecteur » et qu’on y apprend que, « [p]artenaire, complice témoin, traître, hypocrite », le lecteur chez Ducharme s’adonne à cette même activité que nous, qu’il « condense un projet esthétique qui touche les représentations de la littérature et une démarche qui érotise les processus de la lecture ».

En effet, lire et relire l’auteur de L’avalée des avalés, c’est tomber sous le charme des monstres. Dans son ouvrage, Larochelle jette un éclairage original sur cette énorme pellicule pour en faire ressortir la lumière dans l’ombre, et l’ombre dans la lumière, signes de la complexité de notre engouement devant cette belle œuvre monstrueuse.



This review “Ce monstre, Ducharme” originally appeared in Indigenous Focus. Spec. issue of Canadian Literature 215 (Winter 2012): 182-83.

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