De la colère en poésie québécoise

  • Catherine Morency
    Poétique de l'émergence et des commencements: Les premiers écrits de Miron, Lefrançois, Gauvreau, Giguère et Hébert. Nota Bene (purchase at Amazon.ca)
Reviewed by Valérie Mailhot

Thèse de doctorat à l’origine, l’essai de Catherine Morency dépasse largement le cadre de la simple démonstration académique en ce que l’auteure, dès les premières pages de son ouvrage, annonce vouloir « rétablir un “malentendu” poétique ». Irritée par une critique littéraire québécoise qu’elle juge excessivement bienveillante, parce que trop prompte à la célébration de ses « grands » poètes en vue de l’édification d’un « récit national » sans aspérités, Morency vise en effet à relire l’œuvre de cinq écrivains importants dans un « esprit réellement décolonisé », ce qu’elle entreprend de faire en mettant l’accent sur la colère, émotion jusqu’à présent ignorée par la critique, mais qui apparaît pourtant comme le moteur de l’écriture poétique dans plusieurs œuvres du XXe siècle québécois. Sans pour autant gommer ce qui distingue une Anne Hébert d’un Claude Gauvreau, par exemple, Morency propose d’envisager ces œuvres — et celles de Miron, de Lefrançois et de Giguère — sous l’angle de la difficile, mais nécessaire, trahison qu’exige l’arrivée en poésie de ces écrivains.

Trahison d’une partie de soi, comme chez un Miron qui ne cessera de s’interroger sur la possibilité de « désentraver l’avenir » en poésie sans toutefois renier une souffrance qui le dépasse, une agonie liée à la situation collective et transmise « de père en fils jusqu’à [lui] ». Trahison sans équivoque cette fois de la société chez Lefrançois et Gauvreau, lesquels empruntent diverses stratégies — la mystification chez Lefrançois (né Steenhout); la mégalomanie et la transgression violente chez Gauvreau — pour faire voler en éclats les normes et les codes de la littérature et de la société québécoises. Enfin, trahison peut-être moins éclatante, mais certainement tout aussi efficace, chez Giguère et Hébert, qui, par le biais d’une plongée dans les retranchements les plus intimes de l’être, s’abreuvant aussi bien aux pulsions de vie qu’aux pulsions mortifères de celui-ci, parviennent à « naître » en poésie, à proposer une véritable vision (au sens rimbaldien du terme) du sujet et du monde.

La relecture d’une partie du « canon » de la poésie québécoise que propose Morency à l’aune des idées de la colère et de la trahison, idées qu’elle approfondit en se référant tantôt à la psychanalyse (Anzieu, Jacques), tantôt à la théorie littéraire et à la philosophie (Agamben Blanchot, Nietzsche), a le mérite de dynamiser une histoire littéraire qui, encore aujourd’hui, demeure somme toute assez consensuelle. En intégrant du « conflit » dans cette histoire littéraire, Morency pose les bases d’un renouvellement du discours critique sur la poésie québécoise; il ne nous reste plus qu’à souhaiter que cet appel au dialogue soit entendu par les jeunes — et moins jeunes — chercheurs et critiques québécois.



This review “De la colère en poésie québécoise” originally appeared in Agency & Affect. Spec. issue of Canadian Literature 223 (Winter 2014): 177-78.

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